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L'Araignée eider : mise au point et essai expérimental d'une nouvelle méthode visant à éliminer la prédation des canards de mer dans les moulières

Rapport définitif
Gestion Valeo s.e.c.
PIAAM 2012-Q02

1. Contexte

La culture des moules est une industrie en plein essor dans le monde. La prédation par les oiseaux comme les canards de mer migrateurs est toutefois un problème constant pour les mytiliculteurs, et est souvent associée à d'importantes pertes financières. On a mis à l'essai de nombreuses méthodes d'effarouchement des oiseaux, mais elles ont donné des résultats limités sous la pression d'une prédation intensive. La couverture de glace et les habitudes migratoires des canards limitent leur prédation dans la plupart des zones du Canada atlantique, mais étant donné que les hivers devraient être plus doux en raison du réchauffement de la planète, il faut s'attendre à une augmentation des pertes. Les petites fermes mytilicoles de la Nouvelle-Écosse estiment actuellement leurs pertes annuelles entre 100 000 et 200 000 $. Le projet suivant décrit une nouvelle stratégie d'effarouchement (ci-après appelée l'Araignée), qui est non seulement rentable, mais également axée sur la conservation. Des essais préliminaires effectués au moyen d'un prototype artisanal placé dans un bassin ont démontré l'efficacité de l'Araignée. Le projet décrit ci-après présente les résultats des essais sur le terrain de cette approche novatrice réalisés dans deux exploitations commerciales de la Nouvelle-Écosse.

2. Emplacement des moulières en Nouvelle-Écosse

À l'origine, on devait mettre en place ce projet chez Atlantic Aqua Farms, à Whitehaven Harbour, et à Indian Point Marine Farms, à Mahone Bay, en Nouvelle-Écosse. Cependant, Atlantic Aqua Farms, qui appartient à une entreprise de l'Île-du-Prince-Édouard, a décidé de réduire ses activités en 2012 en raison d'une forte infestation de tuniciers. Les essais ont donc été relocalisés chez AquaPrime Mussel Ranch, à Ship Harbour, en Nouvelle-Écosse. Les deux sites doivent acheter des naissains de moules à des sources externes, une opération qui intervient habituellement lieu au mois de novembre. Dans le cadre de ces essais, les naissains utilisés dans les deux exploitations avaient été achetés dans la baie de St. Ann., au Cap Breton, en Nouvelle-Écosse.

2.1 AquaPrime Mussel Ranch Ltd.

Cette entreprise élève des moules à Ship Harbour, en Nouvelle-Écosse, depuis 1995. Elle se trouve dans l'une des rares baies qui ont jusqu'ici échappé à l'invasion de tuniciers, même si en 2012, quelques spécimens ont été repérés à l'entrée de cette baie. L'entreprise utilise principalement la méthode de boudinage continu pour ses activités de culture. Mises à part des fermetures sporadiques dues à des toxines provenant des algues, la prédation des canards de mer est le principal problème biologique qui nuit à ses activités. Sa stratégie de contrôle des canards consistait à les pourchasser en bateau à grande vitesse, à encourager la chasse et à installer des filières de moules « sacrificielles » visibles offertes en nourriture aux canards dans un secteur où ils pouvaient être contrôlés.

2.2 Indian Point Marine Farms

Cette entreprise élève des moules dans les eaux de Mahone Bay, en Nouvelle-Écosse, depuis 1982. Elle a comme but de produire des aliments de qualité, sains et nourrissants, tout en réduisant au minimum les répercussions sur l'environnement marin. Elle utilise principalement la méthode de boudinage continu, son site en eaux profondes étant bien adapté à ce type de méthodes de culture. Depuis sept à huit ans, l'entreprise a été confrontée à une importante infestation d'ascidie jaune Ciona intestinalis. La biomasse démesurée de cet organisme nuisible oblige l'entreprise à réduire ses activités. La prédation des canards de mer était le principal problème biologique avant l'invasion par les tuniciers, mais il demeure un enjeu du mois de décembre la mi-avril.

3. Description des travaux et du protocole expérimental

3.1 Installation expérimentale

Les deux exploitants ont établi, chacun de leur côté, que la technologie actuelle de l'Araignée ne conviendrait pas à la méthode de culture de boudinage continu, en particulier en ce qui concerne le retrait des boudins pendant la phase de récolte. Cependant, ils souhaitaient tous deux vérifier si cette technologie pouvait avoir un effet de dissuasion important sur les canards de mer. À Ship Harbour et à Mahone Bay, on a choisi d'utiliser des boudins individuels de 2,5 m comme unité expérimentale afin d'évaluer les effets de cette nouvelle technologie sur l'activité de prédation des canards. Dans les deux exploitations, on a déployé deux filières contenant chacune 96 boudins individuels. On a installé deux Araignées sur les 12 premiers boudins de chaque filière, puis trois Araignées sur les 12 boudins suivants. On a décidé que le groupe de 12 boudins suivant serait le témoin et on n'a pas touché aux 12 boudins suivants, de manière à créer une zone tampon entre ce premier bloc de 48 boudins et la deuxième séquence dupliquée de 48 boudins sur la même filière. Cette conception expérimentale (deux blocs de 48 boudins) a été reproduite sur une autre filière à une distance d'environ 50 m. 

3.2 Ship Harbour

La technologie de l'Araignée a été déployée dans les installations de Ship Harbour le 16 novembre 2012. On a estimé le temps d'installation (c.-à-d. l'insertion des bras dans le disque) à une Araignée par minute et par personne, et le temps de déploiement (c.-à-d. l'installation et le verrouillage du disque) à quatre Araignées par minute et par personne. Le nombre initial de moules par boudin a été estimé à 3 000 (environ 500/pi x 8 pi). Les tentatives visant à installer quatre Araignées sur un boudin ont échoué, puisque le boudin flottait à l'issue du déploiement. C'est pourquoi nous avons dû réduire notre premier objectif, qui consistait à comparer deux Araignées à quatre, et le ramener à deux Araignées à trois par boudin. Il convient de noter que ces boudins de moules se trouvaient déjà dans l'eau depuis sept jours, et que les moules étaient bien hydratées. En raison de la bonne flottabilité de l'Araignée, il n'est pas conseillé de déployer cette technologie sur de nouveaux boudins sur lesquels les naissains de moules ont été récoltés deux à trois jours auparavant. Les moules ont tendance à perdre une quantité importante d'eau. Il est donc probable que les nouveaux boudins flotteraient pendant au moins 10 à 15 minutes à la surface et que les Araignées seraient rapidement enchevêtrées. De façon à réduire la probabilité d'enchevêtrement entre des boudins adjacents, on a augmenté à 1 m l'espacement entre les boudins, contre 75 cm prévus au départ.

3.3 Mahone Bay

Le site a été installé le 16 décembre 2012, selon la même configuration expérimentale qu'à Ship Harbour (deux filières, 96 boudins par filière). Il a fallu retarder l'installation jusqu'à ce que l'exploitant soit certain que l'incrustation des tuniciers avait cessé; la période d'incrustation des tuniciers s'est étendue de manière constante depuis dix ans avec la hausse de la température de l'eau de mer en automne. Le jour du déploiement, la température de l'air était de -3 oC et le vent soufflait entre 10 et 15 km/h. L'installation s'est déroulée sans encombre, mais on a éprouvé des difficultés avec des boudins qui flottaient à la surface et les Araignées qui se fissuraient, peut-être en raison du froid.

4. Résultats

On a examiné l'ensemble de données complet sur les deux sites expérimentaux, les quatre filières expérimentales, les deux blocs au sein de chaque filière expérimentale et les trois traitements (témoin par rapport à deux Araignées et à trois Araignées), au moyen d'un modèle mixte d'analyses de variance. Seul le traitement à l'aide de l'Araignée a été déclaré à effets fixes et s'est révélé sur les plans du poids net et du pourcentage de moules restantes dans un boudin. Les moyennes des moindres carrés ont donné des valeurs supérieures pour la proportion de moules restantes, et le poids net de ces boudins correspondait à la technologie de l'Araignée plutôt qu'aux boudins témoins.
Du point de vue commercial, en décembre 2012, les boudins contenaient 3 000 moules à Ship Harbour et 1 600 moules à Mahone Bay. Une perte importante, très vraisemblablement attribuable à la prédation des canards, a été enregistrée dans tous les groupes visés par le traitement pendant les mois d'hiver. Les répercussions expérimentales de la technologie de l'Araignée, importantes sur le plan statistique, pourraient être liées à une réduction du nombre de moules perdues par glissement plutôt qu'à une réduction de la prédation par les canards. Selon les mytiliculteurs, à l'issue de la période d'étude, les boudins de moules avaient une faible valeur commerciale.

4.1 Ship Harbour

Le personnel d'AquaPrime a signalé qu'un grand nombre de canards de mer, notamment des garrots à œil d'or, avait commencé à arriver à l'installation de Ship Harbour à la mi-janvier. Des eiders et des macreuses étaient également présents, mais en moins grand nombre. L'examen des filières expérimentales a été réalisé à la fin du mois d'avril 2013. Sur la première filière expérimentale examinée, chaque boudin de moules individuel avait été gravement touché par la prédation des canards. Parfois, de petites parties au fond d'un boudin, en dessous d'une Araignée, semblaient avoir été manquées par les canards ou protégées par l'Araignée. Toutefois, d'un point de vue commercial, les répercussions de l'importante prédation des canards se sont traduites par la perte de presque tout le stock de moules. Au moment de l'évaluation de la deuxième filière expérimentale, on a remarqué des boudins de moules généralement pleins, avec deux ou trois Araignées au début du premier bloc, suivis de boudins témoins décimés, comme sur la première filière expérimentale. Sur le deuxième bloc expérimental de cette seconde filière, tous les boudins, avec ou sans Araignée, avaient subi une importante prédation des canards. Il semblerait que l'emplacement ait eu sa propre importance, et nous avons émis l'hypothèse que les canards ont, d'une manière ou d'une autre, manqué le début de la deuxième filière expérimentale. Il est possible que certaines moules survivantes, ayant été prises au piège ou protégées à l'intérieur du filet pendant l'hiver, se soient déplacées après le départ des canards.

Un grave défaut de conception de l'Araignée est sa bonne flottabilité, qui entraîne des problèmes d'enchevêtrement avec les boudins environnants et des pertes de moules supplémentaires. On peut également présumer qu'à mesure que les moules sont consommées, les boudins équipés d'Araignées deviennent de plus en plus légers et ont tendance à flotter, ce qui en fait des cibles plus faciles pour les canards. Dans tous les cas, il faut régler ce problème de bonne flottabilité avant de pouvoir réaliser des essais supplémentaires. Il convient de noter que la technologie de l'Araignée a été mise à l'essai dans un bassin et que des macreuses ont été utilisées pour l'expérience. À Ship Harbour, le principal canard prédateur était le garrot à œil d'or, considéré comme un canard de mer de taille moyenne par rapport aux macreuses, classées parmi les gros canards de mer. Il est possible que l'espacement des bras sur l'Araignée ne soit pas assez dissuasif par rapport à la taille ou au comportement du garrot à œil d'or.

4.2 Indian Point Marine Farms

Selon Peter Darnell, le mytiliculteur de Mahone Bay, le degré de prédation a été bien moins important qu'à l'habitude. Il se peut que la production moindre ou l'abondance élevée des tuniciers sur les boudins en fasse une source d'alimentation moins attirante pour les canards. On a observé deux espèces de canards à proximité des filières de moules, des hareldes kakawis et des macreuses, à partir du mois de mars. Le taux de survie des moules était en général supérieur à celui enregistré à Ship Harbour, mais dans l'ensemble, on n'a relevé aucun avantage évident à utiliser la technologie de l'Araignée pour effaroucher les canards. Le mytiliculteur a remarqué que les moules avaient mis longtemps à sortir des boudins et que la flottabilité des Araignées avait entraîné des problèmes d'enchevêtrement des boudins entre eux ou le long des filières principales. 

5. Discussion

Le plan de départ consistait à déployer la technologie de l'Araignée sur des boudins continus, mais les deux mytiliculteurs de Nouvelle-Écosse ont indiqué que cette technologie, dans sa forme actuelle, les gênerait pour récolter les moules à l'aide de leur système hydraulique. En dépit de ce problème, il serait toujours très intéressant de déterminer si cette technologie a eu un effet dissuasif sur la prédation des canards de mer. On a donc choisi de réaliser les essais avec des boudins individuels. 

À l'échelle expérimentale, la présence de la technologie de l'Araignée sur les boudins de moules a apporté la preuve statistique qu'elle augmentait la rétention des moules et se traduisait par un poids net supérieur à l'issue de l'étude. Il est clair que les Araignées ont créé des poches de protection sous le disque, qui étaient moins accessibles pour les canards. Cependant, au mieux, la technologie de l'Araignée aura entraîné une amélioration de 12 % de la rétention des moules par rapport aux boudins témoins, soit une augmentation de 23 à 35 %. Malheureusement, à part dans ce secteur anomal unique, une importante prédation a été remarquée sur tous les boudins de moules, y compris les boudins témoins et les boudins équipés d'Araignées. 

Le déploiement de la technologie de l'Araignée serait réalisable sur le plan commercial si le rendement du capital investi était bon. En ce qui concerne le déploiement, il ressort de nos observations que le temps de montage est la limitation. En gros, il peut falloir autant de temps à une personne pour installer les Araignées qu'à quatre personnes pour monter les unités. La réduction du nombre de bras ou la mise en place d'un seul élément équipé de plusieurs bras serait un moyen de réduire le temps de montage. On a décelé d'autres problèmes en lien avec cette technologie au cours de la phase d'installation : nécessité d'espacer davantage les boudins afin d'empêcher l'enchevêtrement, tendance des boudins à flotter en raison de la bonne flottabilité des Araignées, réduction de la zone de travail en raison du grand espace nécessaire pour les appareils et taux accru de bris des disques à basse température. La méthode de culture en boudins individuels est très utilisée à l'Île-du-Prince-Édouard, qui serait sans doute le principal marché cible de cette technologie dans l'est du Canada. Toutefois, l'espacement entre les boudins et généralement fixé à 75 cm. Un espacement supérieur se traduirait par une baisse de la production sur chaque filière. Ce problème pourrait être en partie résolu si l'on réduit le diamètre du disque central. La bonne flottabilité de l'Araignée constitue un problème grave car les boudins avoisinants s'enchevêtrent rapidement, en particulier en cas de fort courant ou d'effet des vagues important. L'utilisation d'un matériau qui ne flotte pas aiderait à régler ce problème. Il faudrait résoudre la question de l'espace requis par ces appareils sur le plan de la logistique du déploiement et du retrait ultérieur, ou en modifiant la conception de manière à pouvoir empiler les appareils. Enfin, il est essentiel de trouver un matériau qui donnera de meilleurs résultats à basse température pendant les phases de déploiement et de récolte. La récolte d'hiver à des températures inférieures à zéro est une pratique courante à l'Île-du-Prince-Édouard, et cette technologie doit être suffisamment flexible pour résister à une manipulation brutale dans de telles conditions.

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